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27 novembre 2023 1 27 /11 /novembre /2023 10:02

 

 

Un arrêt incontournable a été rendu le 13 novembre 1996 par la Chambre sociale de la Cour de cassation (94-13.187, publié au Bulletin) au sujet de la qualification du contrat de travail. 

Il reste un arrêt d'actualité puisqu'il a énoncé une solution régulièrement reprise. Il est donc nécessaire de revenir dessus.

 

Ci-dessous le lien vers la décision :

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007035180/

 

 

 

Des intervenants extérieurs rémunérés sous la forme d'honoraires effectuaient leur travail pour la Société Générale. Suite à un contrôle URSSAF en 1984 et 1985, les rémunérations perçues par ces conférenciers extérieurs ont fait l'objet d'un redressement pour être réintégrées dans l'assiette des cotisations dues par la Société Générale.

 

La Cour d'appel de Bordeaux, par arrêt du 1er février 1994, avait validé cette approche. Les conférenciers et intervenants extérieurs à la société réalisaient leurs prestations dans le cadre d'un service organisé ce qui permettait de conclure à l'obligation de soumettre leurs honoraires aux cotisations du régime général de la sécurité sociale.

 

La Société Générale a formé un pourvoi auprès de la Cour de cassation contre cet arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux. La Haute Cour a alors relevé d'office un moyen de pur droit comme le lui permet l'article 620 du code de procédure civile.

 

La question qu'elle a relevé a été de savoir quelle était la définition du lien de subordination qui permettait de soumettre des sommes au régime général de la sécurité sociale et donc, par là-même, de qualifier le contrat de travail.

 

Elle rend un arrêt de cassation qui censure l'approche de la Cour d'appel. Par cette décision de principe du 13 novembre 1996 c'est une définition précise qui est donnée du lien de subordination nécessaire à ce que les sommes versées soient considérées comme des rémunérations du travail. Elle permet ainsi de qualifier le contrat de travail par la caractérisation du lien de subordination juridique (I) et d'opérer un resserrement relatif de la catégorie du contrat de travail (II).

 

 

  1. Une caractérisation du lien de subordination juridique

 

La relation de travail salariée permet de se distinguer d'autres relations contractuelles qui s'en rapprochent. A cet égard, le lien de subordination est apparu comme un critère décisif à la qualification du contrat de travail (A). Cet arrêt a précisément permis d'en donner une définition précise et exigeante (B).

 

A) Un critère décisif à la qualification du contrat de travail

 

Pour savoir ce qu'est un contrat de travail, le code du travail est assez peu expansif. En effet, l'article L.121 du code du travail (abrogé aujourd'hui) énonce : « le contrat de travail est soumis aux règles de droit commun. Il peut être constaté dans les formes qu'il convient aux parties d'adopter. Le contrat de travail constaté par écrit et à exécuter sur le territoire français est rédigé en français. » Assez peu de précisions sur ce qu'est un contrat de travail. Le code de la sécurité sociale nous en dit en peu plus puisque son article L.242-1 énonce, comme condition à l'assujettissement au régime général de la sécurité sociale : « sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion d'un travail accompli dans un lien de subordination ».

Cette définition fait écho à la définition doctrinale du contrat de travail. Celui-ci peut être défini comme l'exécution d'une prestation de travail moyennant rémunération dans le cadre d'un lien de subordination juridique. Trois critères sont donc retenus pour définir un contrat de travail et le distinguer des contrats qui lui sont voisins. Une prestation de travail, une rémunération et un lien de subordination juridique.

Dans la première moitié du 20è siècle, des hésitations ont eu lieu avant que soit retenu le lien de subordination juridique. Ces hésitations ont été tranchées par l'arrêt Bardou de la Cour de cassation en 1931 qui a retenu ce critère comme décisif, rejetant l'autre indice qui était convoité pour la qualification du contrat de travail, celui de la dépendance économique.

Certains auteurs jugeaient en effet peu pertinent de s'attacher toujours à retenir le critère de dépendance économique pour qualifier une relation de travail. Dans une époque où le travailleur ne dépendait plus économiquement de son patron pour obtenir les moyens de subsistance élémentaires, il convenait de s'attacher à retenir un autre critère.

C'est donc le lien de subordination juridique qui a été retenu pour caractériser une relation de travail.

 

Néanmoins, en l'absence de définition, la qualification du contrat de travail était fluctuante ce qui entraîna un élargissement considérable des rapports juridiques qui se virent soumis au contrat de travail.

 

 

B) Une définition précise et exigeante du lien de subordination juridique

 

En l'absence de définition textuelle et jurisprudentielle de la notion de lien de subordination juridique, la jurisprudence fut assez floue pour définir correctement ce qu'était un contrat de travail.

Cela eut plusieurs conséquences. Tout d'abord, un large pouvoir d'appréciation était laissé aux juges du fond pour réaliser ce qui dans les faits relevaient ou non de la relation de travail salariée. Ensuite, dans un célèbre arrêt d'assemblée plénière Ecole des Roches (4 mars 1983), la Cour de cassation reconnut qu'il y avait un statut social qui découlait nécessairement des conditions d'accomplissement du travail, auxquels les parties ne pouvaient pas échapper par contrat individuel. Elle jugeait ainsi que « la seule volonté des parties était impuissante » pour se soustraire au contrat de travail. Elle considérait donc qu'il y avait des critères objectifs pour définir une relation de travail. Mais en l'absence de définition précise de ce qu'il fallait entendre par lien de subordination, la Cour de cassation en revenait parfois à d'autres critères pour qualifier le contrat de travail.

En effet, on revit émerger la notion de dépendance du salarié à son employeur dans cet arrêt Ecole des Roches. Cette dépendance était-elle entendue au sens de dépendance économique ou juridique ? La dépendance et le lien de subordination étaient-ils synonymes ?

En outre, un autre mouvement jurisprudentiel voyait dans le travail au sein d'un service organisé un critère à part entière. Plus précisément, s'agissait-il d'un critère à part entière ou d'une définition du lien de subordination juridique ? Là encore, la jurisprudence ne semblait pas très claire ce qui occasionnait un flou sur la nature du contrat de travail.

L'arrêt présent met fin à ces incertitudes et donne une définition précise et exigeante du critère. « Le lien de subordination juridique est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; (que) le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail. »

Deux remarques s'imposaient alors. Le lien de subordination est un lien juridique d'un salarié avec un employeur. Il était donc clair que la dépendance économique était un critère relégué au passé pour caractériser la relation de travail salariée.

Ensuite, le travail au sein d'un service organisé n'était plus l'alpha et l'oméga pour caractériser la relation de travail. Si le travail au sein d'un service organisé dans l'arrêt Ecole des Roches paraissait déterminant à caractériser la relation de travail d'un conférencier extérieur exerçant comme libéral, elle ne l'était plus dans l'arrêt Société Générale.

 

La jurisprudence opère donc un revirement de jurisprudence qui est marqué par une exigence supplémentaire pour qualifier le contrat de travail. Ce resserrement de la catégorie du contrat de travail est néanmoins relatif.

 

 

 

  1. Un resserrement relatif de la catégorie du contrat de travail

 

Ce resserrement relatif s'opère à deux niveaux. Il distingue des critères et des indices (A) et accompagne un mouvement législatif en faveur du resserrement du contrat de travail (B).

 

A) La distinction entre des critères et des indices

 

La nouvelle définition du lien de subordination juridique qui émerge dans cet arrêt réunit trois critères. Trois critères matérialisés par un triple pouvoir d'un employeur sur un salarié présumé que sont le pouvoir de direction (donner des ordres et des directives), un pouvoir de contrôle et un pouvoir de sanction.

Ces trois critères viennent donc s'ajouter aux critères classiques du contrat de travail que sont la prestation de travail et la rémunération. Sont exclus de la relation de travail les rapports contractuels qui ne réunissent pas déjà ces deux critères. Le premier est relativement large et seront exclus les rapports contractuels qui ne font pas de la prestation de travail l'objet principal du contrat. C'est le cas lorsque la prestation n'est qu'un moyen au service d'un autre but, comme l'intégration au sein d'une communauté religieuse ou la formation (stages). La rémunération doit aussi exclure du champ contractuel le travail bénévole.

A ces critères de base, s'ajoutent donc les critères du lien de subordination juridique. Des critères assez sévères on l'a vu, puisqu'ils semblent cumulatifs. Mais l'arrêt ouvre une autre voie qui peut poser des questions sur ce caractère cumulatif en évoquant la notion d'indice du lien de subordination.

 

Plus précisément, la Cour qualifie comme tel « le travail au sein d'un service organisé lorsque les conditions d'exécution du travail sont déterminés unilatéralement par l'employeur ». Ce n'est pas le seul indice qui est retenu par la jurisprudence. Ces indices sont nombreux: ils vont de la fourniture du matériel de travail, à la fixation d'horaires, au lieu de travail assigné.

Cet arrêt a ouvert la voie à la méthode du faisceau d'indices pour qualifier le lien de subordination. La méthode du faisceau d'indices permettrait de qualifier une relation de travail salariée sans qu'un indice soit forcément plus important qu'un autre. Dans une situation donnée un indice permettra de mettre en évidence qu'il s'agit d'une relation de travail. Dans une autre situation, c'est la réunion de plusieurs indices qui va permettre de tirer une telle conclusion.

 

La question qui émergeait a été de savoir quel est l'objet du faisceau d'indices. La Cour de cassation allait-elle contrôler de manière aussi lourde l'existence des trois critères pour qualifier la relation de travail salariée.

Au contraire allait-elle se servir de la méthode du faisceau d'indices pour qualifier la relation de travail sans s'attacher à ce que les juges du fond vérifient systématiquement la présence des trois pouvoirs que sont la direction, la sanction et le contrôle. A la lecture de l'arrêt, c'est la sévérité qui est affichée.

 

Mais force est de constater que cette sévérité ne semble pas réaliste. Il n'est pas possible de déterminer par avance ce qui constitue une relation de travail salariée. La méthode du faisceau d'indices permettrait donc davantage de tendre à qualifier une relation de travail salariée, alors même que les trois pouvoirs ne sont pas tous formellement présents.

 

La voie ouverte à la méthode du faisceau d'indices permet donc de relativiser cette sévérité affichée par la Cour de cassation à l'égard de la qualification du contrat de travail, bien que la loi annonce aussi cette volonté de resserrement du champ du contrat de travail.

 

B) Un mouvement législatif en faveur du resserrement du contrat de travail

 

L'arrêt Société Générale fait suite à la volonté législative sur le sujet. La loi « Madelin » du 11 février 1994 a ainsi introduit la présomption de non-salariat pour certains types de statuts. Un temps disparue, elle a été ensuite réintroduite par la loi de 2003, que l'on trouve aujourd'hui codifiée à l'article L.8221-6 du code du travail.

Il s'agissait d'établir une présomption de non-salariat pour les personnes immatriculées aux registres (registre du commerce et des sociétés...)

Cette sévérité accrue doit être immédiatement tempérée puisque la loi a prévu que cette présomption pouvait être renversée par la preuve d'un lien de subordination. Pour prouver le lien de subordination donc, il s'agit de procéder comme plus haut. Autrement dit, la preuve du lien de subordination est faite par la mise en évidence des trois pouvoirs ou par la méthode du faisceau d'indices qui tend à mettre en exergue l'existence d'une relation de travail salariée.

 

Il y a eu d'autres mouvements légaux d'exclusion du salariat. Ces exclusions critiquables puisqu'elles concernent des catégories de personnes qui peuvent être soumises à un lien de subordination, sont tantôt exclues totalement du droit du travail (exemple : stagiaires, travail en prison) tantôt exclues partiellement des règles du droit du travail (personnels de maison, article L.7221-2 du code du travail). Une autre exclusion doit être remarquée même si elle n'est pas légale mais jurisprudentielle. Elle concerne les travailleurs non statutaires du service public. L'arrêt Berkani (Tribunal des conflits, 25 mars 1996) a été particulièrement remarquable en jugeant que les travailleurs sont des agents de droit public s'ils travaillent pour un organe public (service public administratif).

Ces exclusions doivent néanmoins être tempérées puisque d'autres travailleurs sont assimilés par la loi à des salariés. C'est le cas des VRP, des mandataires, des journalistes et auteurs par exemple. D'autres dispositions prévoient l'application de certaines dispositions seulement de droit du travail à des catégories de travailleurs comme les gérants non-salariés (article L.7321-1 et suivants du code du travail), les pompistes gérants libres de stations-service par exemple.

Cet arrêt a le mérite de donner une définition mais la volonté qui était la sienne de resserrer le champ du contrat de travail n'a pas porté réellement ses fruits.

 

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