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18 septembre 2023 1 18 /09 /septembre /2023 21:25

Finalement, vous trouverez un commentaire complet de l'arrêt du 9 mai 2001.

Pour rappel, il s'agit de l'arrêt Emmaüs ci-joint :

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007045381/

 

 

Je passe l'introduction pour en venir directement au corps du commentaire d'arrêt dont la question était : des compagnons Emmaüs qui participent à la vie de la communauté Emmaüs peuvent-ils voir leur relation contractuelle transformée en contrat de travail, en présence d'éléments du contrat de travail ?

 

Non, nous dit la Cour de cassation. L'intégration dans « la communauté Emmaüs en qualité de compagnon » induit de s'être « soumis aux règles de vie communautaire qui définissent un cadre d'accueil comprenant la participation à un travail destiné à l'insertion sociale des compagnons et qui est exclusive de tout lien de subordination ». L'analyse des faits conduit la Cour de cassation, dans le cadre de la communauté Emmaüs dans laquelle le compagnon se soumet aux règles de vie communautaire à exclure le lien de subordination (I).Cette exclusion du rapport salarial des contrats à visée d'insertion ou de formation a une pérennité dans le temps plus que douteuse (II).

 

 

 

I – Une analyse dans les faits d'une prestation de travail exclusive du lien de subordination

 

La Cour de cassation rappelle l'approche qui est la sienne depuis le 19 décembre 2000 s'agissant d'une qualification de contrat de travail, celle-ci est dépendante des conditions de fait d'exécution de l'activité des travailleurs (A). Elle mentionne opportunément qu'en cas de participation à un travail destiné à l'insertion sociale, le lien de subordination juridique est exclu (B).

 

A - Une qualification du contrat de travail dépendante des conditions de fait d'exécution de l'activité des travailleurs

 

L'arrêt est solennel, il fait écho à l'arrêt Labanne (Soc. 19 déc. 2000) dans son châpeau, au visa de l'article 121-1 du code du travail (actuel article 1221-1 du code du travail) : « Attendu que l'existence d'une relation de travail salarié dépend des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle ».

La Haute Cour censure l'approche de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, qui admettait l'existence d'un contrat de travail. Celle-ci s'est cantonnée à raisonner en termes de définition du contrat de travail et de lien de subordination juridique pour qualifier la présence d'un contrat de travail.

Le contrat de travail est défini selon la doctrine comme une prestation de travail qui s'effectue par un travailleur qui se place sous la subordination juridique d'un employeur moyennant une rémunération.

Dans cette approche, elle s'est cantonnée à vérifier l'existence des différents critères.

La prestation de travail était bien présente (récupération et réparation d'objets mobiliers, la rémunération également (peu importe la forme : espèces, en nature).

Pour ce qui est du troisième critère, le lien de subordination juridique, la Cour d'appel s'est placée dans la définition qui en est résultée de l'arrêt de principe Société Générale (Soc. 13 novembre 1996).

Le lien de subordination juridique est caractérisé par « l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, de contrôler l'exécution du travail et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail ».

Le lien de subordination nécessite donc, pour être caractérisé de réunir trois pouvoirs, à savoir le pouvoir de direction, le pouvoir de contrôle, le pouvoir de sanction.

En l'espèce, deux des critères du lien de subordination étaient réunis car le compagnon recevait des instructions et des directives quant aux lieux de récupération des objets et que les responsables pouvaient sanctionner l'exécution de la prestation de travail. Cela suffisait pour caractériser l'existence du lien de subordination. En effet, il est de jurisprudence constante que les trois critères du lien de subordination n'ont pas forcément à être réunis pour caractériser l'existence du lien de subordination. Et dans la plupart des cas, les juges procèdent à la méthode du faisceau d'indices pour apprécier son existence.

L'objectif de cette jurisprudence était de resserrer quelque peu le domaine du contrat de travail, ce qui n'a, dans le contentieux, pas vraiment abouti. Le législateur, pour limiter le domaine du contrat de travail a posé une présomption de non-salariat (pour les personnes immatriculées au RCS notamment) par une loi de 1994, réintroduite par une loi de 2003.

En écartant les critères du contrat de travail tels qu'appréhendés par l'arrêt Société Générale au sens strict, la Cour de cassation se range du côté de l'appréciation factuelle pour qualifier un contrat de travail, comme l'arrêt Labanne l'a consacré.

 

Le « principe de réalité » ou « l'indisponibilité de la qualification » est retenu (termes différents retenus par la doctrine pour désigner l'appréciation factuelle), parce qu'il y avait des « règles de vie communautaire » qui excluaient de se limiter aux critères du contrat de travail. Ce sont ces règles de vie communautaire qui excluent en elles-même le lien de subordination.

 

B - L'exclusion du lien de subordination juridique en cas de participation à un travail destiné à l'insertion sociale des compagnons

 

« En intégrant la communauté Emmaüs en qualité de compagnon, M. X... Y... s'est soumis aux règles de vie communautaire qui définissent un cadre d'accueil comprenant la participation à un travail destiné à l'insertion sociale des compagnons et qui est exclusive de tout lien de subordination ».

Par ce dispositif la Cour de cassation admet deux choses.

D'une part, la participation à un travail destiné à l'insertion sociale des compagnons n'est pas une prestation de travail comme l'entend le sens de la définition doctrinale du contrat de travail.

La prestation de travail peut être diverse et variée, manuelle ou intellectuelle, mais elle doit constituer l'objet principal du contrat de travail. Elle ne doit pas être un simple accessoire au service de l'insertion.Or, par la participation au travail, l'intéressé n'effectue pas une prestation de travail, il met sa force de travail au service d'un autre objet qu'est l'insertion sociale des compagnons Emmaüs.

D'autre part, la Haute Cour nous dit que la participation à un travail au service de l'insertion est « exclusive du lien de subordination juridique ».

La participation au travail exclut sur le plan social la qualification du lien de subordination juridique et du contrat de travail, ce qui est un parti pris critiquable de la Cour de cassation (voir II).

D'un point de vue juridique et technique, on peut expliquer cette position sur la base du principe dégagé par l'arrêt Labanne: « l'existence d'une relation de travail salarié dépend des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle »

 

Or quels sont les faits ? Les compagnons semblent plutôt exercer une relation de travail salariée selon la définition du contrat de travail admise plus haut.

C'est oublier que l'article 12 CPC exige du juge qu'il « restitue aux actes et aux faits leur exacte qualification sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. »

Or, en dehors des relations de travail qui s'apparentent à un contrat de travail, les faits commandent de prendre un compte un élément très important, à savoir « les règles de vie communautaire ».

C'est une sorte de code de conduite écrit ou non écrit qui est accepté par les compagnons à leur entrée et qui implique une renonciation au salariat.

Le juge fait donc primer ce guide écrit ou non écrit sur les conditions de travail pour exclure le contrat de travail.

On peut dire qu'il consacre la solution de l'arrêt Labanne, qui est de restituer aux actes et aux faits, dans chaque situation, leur exacte qualification, en prenant en compte tous les éléments. Dans l'arrêt Labanne à l'époque, la Cour de cassation commandait de se référer aux « annexes » du contrat signé.

Mais, cette approche est critiquable car elle fait primer ces règles de vie communautaire sur l'exécution du travail qui dans les faits s'apparentent à une relation de travail salarié.

 

L'arrêt explique que la qualification du contrat de travail doit être écartée en cas de travail d'insertion sociale des compagnons, mais sa portée peut être remise en doute sur le long terme (II).

 

II – Une exclusion du rapport salarial dans les contrats d'insertion sociale par le travail à la pérennité douteuse

 

Si l'exclusion du rapport de travail est classique dans les contrats à visée d 'insertion ou de formation, elle est critiquable (A) et semble déjà être en recul dans un domaine proche qui est le domaine qui est proche : celui des conventions de stage (B).

 

A - Une analyse classique mais critiquable de l'exclusion du rapport de travail dans les contrats à visée d'insertion ou de formation

 

Le contrat de travail est exclu dans les contrats à visée d'insertion ou de formation. En cela, l'arrêt Emmaüs est une simple illustration d'une jurisprudence qui va en ce sens.

La Chambre sociale de la Cour de cassation a déjà eu à se prononcer sur l'exclusion du contrat de travail dans un contexte d'insertion par le travail dans une communauté religieuse (Assemblée plénière 8 janv 1993), et également dans un contexte de formation comme c'est le cas de l'apprentissage dans le cadre des stages (Soc. 17 oct. 2000).

 

La religieuse qui n'exerçait son activité que dans le cadre et pour le compte de sa congrégation ne pouvait prétendre à contrat de travail. Par contre, les personnes qui ne sont pas ecclésiastiques et qui remplissent les critères du contrat de travail sont considérées salariées (Soc. 29 oct. 2008).

D'emblée, une critique doit être formulée : cette approche est critiquable dans le parti pris de la Cour de cassation. Elle exclut du lien de subordination certaines personnes et risque ainsi d'exclure du salariat des personnes qui devraient normalement en bénéficier (une rémunération, des ordres, des directives, des sanctions...)

Ensuite, il faut faire remarquer qu'il y a un risque d'exploitation de ce mécanisme pour faire travailler des salariés qui s'ignorent.

C'est un parti pris de la Cour de cassation, qui pourrait tout à fait changer vis-à-vis des compagnons Emmaus : dernièrement un arrêt en date de 2013 a jugé que le pécule perçu par les compagnons était toutefois soumis à cotisations sociales (Civ. 2, 14 février 2013, n°12-12.906)

 

Il faut également nuancer la portée de cet arrêt du point de vue juridique. On l'a déjà évoqué, la relation de travail salarié dépendant des conditions de fait d'exécution du travail, on pourrait tout à fait retenir que les faits disent, non pas que les compagnons sont exclus de la qualification du contrat de travail, mais bien au contraire qu'ils y ont droit au regard des conditions de fait d'exécution de leur travail (réparation d'objets, avantages en nature et allocation hebdomadaire).

On l'a vu plus haut, les compagnons répondaient aux critères du contrat de travail.

Or, il faut rappeler l'arrêt Ecole des Roches du 4 mars 1983 rendu en Assemblée plénière qui a conclu par une formule imposante : le travailleur ne peut échapper au « statut social qui découle nécessairement des conditions d'accomplissement de son travail ». 

Et enfin, puisqu'a été évoqué l'arrêt Société Générale, on pourrait y retrouver notamment, s'agissant d'une communauté telle qu'Emmaüs, l'élément d'intégration dans un service organisé qui a longtemps été un élément très important pour qualifier la relation de travail, et abandonné au rang d'indice lorsque les conditions d'exécution du travail sont déterminées unilatéralement par l'employeur, demeurant toujours important pour la qualification du lien de subordination. 

 

Cette approche d'exclusion, nuancée, de la qualification de contrat de travail en raison de la finalité d'insertion ou de formation, n'est pas à graver dans le marbre puisqu'elle est déjà en recul dans les stages.

 

B - Une approche déjà en recul dans le domaine des conventions de stage

 

L'arrêt est fortement critiquable, car sur l'autel de la visée d'insertion sociale d'Emmaûs, et de l'argument selon lequel les compagnons acceptent à l'entrée de l'association « les règles de vie communautaire » en participant à un travail excluant tout lien de subordination et salariat, il exclut de la qualification de contrat de travail des personnes qui devraient en bénéficier. Gageons que la Cour de cassation ne s'en tiendra pas à cette exclusion et qu'elle revienne sur sa position si un recrutement permanent se présente.

 

Dans les conventions de stage, la pratique de la fraude et du détournement de pouvoir est sanctionnée. Ainsi, si des employeurs viennent à recruter des stagiaires pour effectuer un travail salarié, alors il y aura requalification. En d'autres termes, si l'employeur détourne le stage de son objet pédagogique le stagiaire peut demander la requalification en contrat de travail.

« Aucune convention de stage ne peut être conclue pour exécuter une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent, pour faire face à un accroissement temporaire de l'activité de l'organisme d'accueil, pour occuper un emploi saisonnier ou pour remplacer un salarié ou un agent en cas d'absence ou de suspension de son contrat de travail » (article L124-7 du code de l'éducation).

En dehors de la requalification en contrat de travail à durée indéterminée (article L.1454-7 du code du travail) le stagiaire peut obtenir condamnation de l'employeur au pénal pour travail dissimulé (art. L8224-1 du code du travail, Crim. 28 sept.2010).

Cette notion d'exclusion de salariat n'est donc pas gravée dans le marbre s'agissant des compagnons d'Emmaüs en cas de nouveau contentieux.

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