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13 novembre 2023 1 13 /11 /novembre /2023 13:29

 

 

1 ) Monsieur X travaille dans une société de nettoyage « Impec » et est affecté dans les locaux d'une entreprise tierce, la société ABC. Avec 4 de ses collègues, ils effectuent leur tâche dans les locaux de l'entreprise.

 

Avec le temps, la société ABC décide de ne plus recourir pour cette tâche à Impec, et de recourir à une autre société, la société « Nettoietout », et rompt alors le contrat de prestation de services qu'elle avait avec Impec.

 

Monsieur X et 4 de ses collègues se font alors licencier pour la perte de ce client qui a entraîné des difficultés économiques pour Impec, l'obligeant à réduire ses effectifs.

 

Néanmoins, Monsieur X ne souhaite pas en rester là et décide d'assigner Nettoietout au conseil de prud'hommes pour obtenir un licenciement privé d'effet et l'obligation pour la société de reprendre son contrat de travail. Que pouvez-vous lui répondre ?

 

 

Solution :

 

Monsieur X et quatre autres de ses collègues soulèvent la question de savoir si l'exécution de leur travail de nettoyage au sein de l'entreprise ABC est un élément suffisant pour permettre l'application de l'article L.1224-1 du code du travail.

 

Selon ce texte, « lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur », « tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ».

 

 

A – La règle de la privation d'effet du licenciement pour éluder l'application de l'article L.1224-1 du code du travail

 

Tout d'abord, il convient de soulever la question du licenciement avant la date de l'opération matérialisée par la signature du nouveau contrat de prestation de services avec le nouvel entrepreneur.

Depuis un arrêt "Guermonprez" (Soc. 20 janvier 1998) il est jugé que les licenciements avant l'opération de modification de la situation juridique de l'employeur pour éluder l'application de l'article L.1224-1 du code du travail (ancien L.122-12) sont privés d'effet.

Cela impose au nouvel entrepreneur de reprendre les contrats de travail de l'ancien exploitant.

 

En l'espèce, c'est ce que réclame Monsieur X.

Néanmoins, pour que cette règle s'applique, encore faut-il admettre qu'il y ait modification de la situation juridique de l'entreprise.

 

 

B – Le maintien de l'activité économique comme condition du transfert des contrats de travail

 

Pour qu'il y ait modification dans la situation juridique de l'employeur la loi nous donne une liste non exhaustive de cas dans lesquels le transfert s'applique.

Il s'agit notamment des cas de « vente, fusion, succession, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise ».

 

La Cour de cassation a estimé que « la seule perte d'un marché » ne constitue pas une telle modification dans un arrêt d'assemblée plénière dit « Nova services » du 15 novembre 1985.

 

Néanmoins, cette solution jurisprudentielle ne signifie pas que la perte d'un marché exclut la possibilité d'une situation d'application de l'article L.1224-1 du code du travail, et cette précision est importante à souligner.

 

Le droit communautaire et la jurisprudence de la cour de justice nous permettent d'obtenir une réponse plus satisfaisante puisqu'ils guident l'application des législations nationales.

 

Dans une affaire « Tellerup », le juge a précisé que la directive doit s'appliquer en cas de transfert d'une entité économique qui conserve son identité (CJCE, 10 février 1988).

La jurisprudence française a vite adhéré à cette analyse dans un arrêt d'assemblée plénière du 16 mars 1990 (Plén. 89-45.730).

 

Celle-ci juge, dans une solution souvent reprise depuis, que le maintien des contrats de travail s'impose à « tout transfert d'une entité économique conservant son identité et dont l'activité et poursuivie ou reprise ».

 

La jurisprudence a évolué sur cette notion.

Le transfert d'une activité n'est pas suffisant à caractériser la nécessité des transferts de contrat de travail.

 

L'entité économique conservant son identité est constitué par un transfert d'éléments d'actifs corporels et incorporels.

L'on considère cette condition remplie lorsque sont transférés l'encadrement, les méthodes d'exploitation, et les moyens d'exploitation de l'activité reprise (CJCE, 28 novembre 2001).

 

S'agissant d'une entreprise de nettoyage extérieure, ce sont essentiellement des éléments incorporels qui sont visés, à savoir le personnel chargé de ce nettoyage.

 

Autrement dit, il s'agit d'une activité qui repose essentiellement sur la main d'oeuvre. Une collectivité de travailleurs que réunit durablement une activité commune peut constituer une entité économique (CJCE 25 janvier 2001).

 

Cependant, un important arrêt « Temco » de la Cour de justice a considéré qu'il y a transfert de l'entité économique conservant son identité lorsque le repreneur ne se contente pas de poursuivre l'activité en cause, « mais reprend également une partie essentielle, en termes de nombre et de compétences, des effectifs que son prédécesseur affectait spécialement à cette tâche » (voir point 26, CJCE 24 janvier 2002).

Dans cette affaire, le repreneur du marché avait embauché une partie de l'ancien personnel.

 

En l'espèce, Monsieur X ne peut se contenter de faire valoir la perte d'un marché par son entreprise pour prétendre à la reprise par le nouveau prestataire.

 

Notons que son entreprise a continué d'exercer par ailleurs son activité de nettoyage.

 

Pour faire valoir la reprise des contrats de travail, il lui est indispensable que l'activité reprise se soit accompagnée d'un maintien de l'entité économique ayant conservé son identité.

 

S'agissant d'une activité de nettoyage reposant essentiellement sur la main d'oeuvre, il semble difficile de faire valoir cet argument.

 

En effet, la société "Nettoietout" n'a pas cru utile de devoir réembaucher Monsieur X ou certains de ses anciens collègues. Il est donc exclu d'appliquer l'article L.1224-1 du code du travail interprété à la lumière de la jurisprudence européenne.

 

Cette solution est donnée sous réserve de l'appréciation souveraine des juges du fond.

 

 

 

 

2 ) Madame Jeannine travaillait pour la société d'exploitation du touring-club de Paris Ouest au Bois de Boulogne.

La concession ayant cessé avec la ville de Paris, c'est une autre société, la société Les Campings d'Ile-de-France qui a conclu un contrat de concession avec cette dernière. Jeannine n'a pas vu son contrat de travail repris par cette dernière.

 

Que peut-elle envisager pour régler sa situation ?

 

 

A – Maintien de l'identité de l'entité économique du terrain de camping

 

Jeannine travaillait dans la situation qui a valu en 1990 la Cour de cassation à se prononcer pour des faits similaires dans l'arrêt d'assemblée plénière reconnaissant l'existence d'une entité économique autonome qui poursuit son identité.

En l'espèce le terrain de camping continuait d'être exploité avec les mêmes terrains et les mêmes installations que l'ancien concessionnaire.

 

L'existence d'une entité économique autonome conservant son identité transférée nécessaire à l'application des transferts de contrats de travail est donc avérée et Jeannine peut prétendre au maintien de son contrat de travail suite au changement de concession.

 

Il n'est pas nécessaire qu'existe un lien de droit entre les deux sociétés.

 

 

Reste à savoir ce à quoi Jeannine peut prétendre face à une telle situation.

 

B – Poursuite du contrat de travail ou dommages et intérêts

 

Depuis l'arrêt Guermonprez de 1998, le licenciement prononcé pour éluder l'application de l'article L.1224-1 du code du travail est privé d'effet. Cette règle a été depuis étendue à toute hypothèse de licenciement « à l'occasion du transfert ».

 

Le salarié peut, à son choix, demander au repreneur la poursuite du contrat de travail ou à l'auteur du licenciement illégal la réparation du préjudice subi par le licenciement (Soc. 20 mars 2002, Soc. 23 fév. 2005).

 

Si le salarié demande au repreneur la poursuite du contrat et se heurte à un refus, ce dernier peut être condamné in solidum avec l'auteur du licenciement pour la condamnation aux dommages et intérêts (Soc. 12 avril 2005).

 

En revanche, si le repreneur informe le salarié de la possibilité d'une reprise de son contrat de travail, le salarié ne peut pas demander réparation du licenciement (Soc. 11 mars 2003).

Une exception existe depuis 2016, puisque l'article L.1233-61 al. 3 prévoit qu'il est possible de licencier les salariés pour éviter l'effet des transferts de contrats de travail lorsqu'une telle mesure est prévue pour un établissement et que le transfert est nécessaire à la sauvegarde d'une partie des emplois.

 

 

Il n'est pas précisé dans l'énoncé si Jeannine a été licenciée par la première société concessionnaire ou par la seconde société concessionnaire, ou si cette dernière a simplement refusé Jeannine dans ses locaux sans autres formalisme.

 

Si elle a été licenciée par la première société, le refus par le second concessionnaire de la reprendre à ses services fait encourir à celle-ci le risque d'être condamné in solidum avec la première société au paiement à des dommages et intérêts.

 

Si la seconde société est l'auteur du licenciement irrégulier, seule elle pourra être condamnée à verser des dommages et intérêts.

 

Et enfin, la salariée a le droit, à son choix, d'obtenir la poursuite de son contrat de travail au service de la nouvelle société, au titre de l'article L.1224-1.

 

 

 

3 ) Un autre employé, Monsieur Xavier, a fait l'objet d'un licenciement, néanmoins. Il a eu de nombreux retards et s'était pris en grippe avec plusieurs clients pour un comportement agressif et souvent déplacé.

 

Pour lui, la fin de la concession par la société Touring-club ne signifie pas la fin de son contrat de travail, et malgré la procédure de licenciement débutée, il estime que le nouveau concessionnaire doit aussi reprendre son contrat de travail, comme si la fin de la concession effaçait son comportement passé et empêchait la société Les Campings de se séparer de lui.

 

Indiquez-lui ses chances de succès en cas d'action et pourquoi ?

 

 

S'il est interdit d'éluder l'application impérative de l'article L.1224-1 du code du travail, l'employeur reste maître de son pouvoir disciplinaire.

 

Il est donc possible pour un salarié d'être licencié pour un motif autre que le transfert, si ce motif constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.

 

Il est tout à fait possible pour un employeur de licencier peu de temps avant la date du transfert pour un motif indépendant du transfert.

 

En pareille hypothèse, le salarié continue d'effectuer son préavis de licenciement pour le compte du nouvel employeur jusqu'à la fin et son contrat est rompu sans que l'article L.1224-1 du code du travail s'applique (Soc. 6 novembre 1991).

 

 

En l'espèce, Monsieur Xavier n'est donc pas immunisé par l'opération de transfert face au pouvoir disciplinaire de son employeur.

 

A considérer que la procédure de licenciement disciplinaire a été respectée et le motif invoqué est bien une cause réelle et sérieuse de licenciement, le salarié ne peut prétendre au caractère impératif du transfert de son contrat de travail au nouvel employeur et peut donc être valablement licencié.

 

 

 

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